Emmanuel Carrère : Le Royaume
Daniel Ducharme | Lectures | 2018-01-18
Emmanuel Carrère écrit au je. C’est même la seule façon qu’il conçoive l’écriture. La présence du locuteur ne doit faire aucun doute dans l’esprit du lecteur. Ses récits d’ailleurs se situent à mi-chemin entre l’autofiction et le docufiction, des catégories à la mode qui peuvent simplement être associées à l’essai littéraire. Emmanuel Carrère s’avère notamment connu pour L’Adversaire, un ouvrage qui a donné lieu au film du même titre. Vous savez, ce médecin qui partait chaque jour au bureau sans aller nulle part ? En fait, il avait perdu son emploi depuis longtemps et n’osait l’avouer à personne, surtout pas à sa propre famille qu’il a fini par assassiner. Hommes, femmes, enfants.
Le Royaume est un essai, mais pas du même ordre que L’Adversaire. Dans la première partie, l’auteur raconte sa conversion au catholicisme survenu au début des années 1990. Il est en revenu depuis… mais il a conservé comme témoignage de cette période de sa vie une série de carnets dans lesquels il consignais ses commentaires de lecture de la Bible. Cela lui a d’ailleurs été utile pour écrire Le Royaume. D’où sans doute l’intérêt de cette première partie, un peu longue, peut-être, qui peut en décourager quelques uns… mais, si c’est votre cas, je vous en prie : persistez, car le meilleur est à venir.
Dans la deuxième partie, il raconte l’histoire de Paul de Tarse, dit Saint-Paul, et de Luc, l’évangéliste. Il ne s’agit pas d’un livre d’histoire religieuse, bien entendu, mais le roman d’un homme qui raconte l’histoire du début du christianisme. Toujours cette mise en scène avec le je omniprésent du narrateur… Bref, Le Royaume raconte l’histoire d’un homme qui rédige un essai sur les début du christianisme. Je crois que cela résume bien les choses…
Le Royaume est un ouvrage imposant, un texte consistant, aurais-je envie de dire, pour nous qui sommes désormais habitués à « consommer » du contenu textuel de moins de cinq cent mots sur le Web (agrémenté d’images, il va sans dire). Le Royaume est un ouvrage imposant, certes, mais avant tout – et surtout, ai-je envie d’ajouter – fascinant, car l’auteur plonge au cœur de lui-même pour livrer une fresque biblique digne des grandes œuvres de la littérature française. Franchement, vous devez lire cet ouvrage sans hésitation dont les défauts – trop long préambule et, pendant le récit, incursions discutables dans la vie quotidienne du narrateur qui s’apparentent à de trop longues digressions – finissent par devenir des qualités.
Emmanuel Carrère, Le Royaume. P.O.L., 2014.