Le monde est rempli d’hommes et de femmes qui, en face de l’itinérant, ne font jamais ce qu’il devrait faire ou, quand les choses tournent mal, ce qu’il aurait pu faire pour lui porter assistance. Ils ne le font jamais parce que, soit qu’ils n’en ont pas le temps, soit qu’ils n’en ont pas les moyens, soit qu’ils ne ressentent aucune empathie envers eux. En vérité, plusieurs d’entre eux n’éprouvent qu’une sorte de gêne devant les sans-abris, préférant poursuivre rapidement leur chemin et, par le fait même, chasser le plus rapidement possible les images dégradantes de l’humanité qui pullulent dans leur esprit. Car parfois, presque inévitablement, ils se disent : « Cela aurait pu être moi ». Ou pire encore : « C’est peut-être ce qui m’attend l’année prochaine… »
Au Québec, on désigne sous le nom d’itinérants les sans-abris, soit ces hommes et ces femmes qui sont sans domicile fixe et qui, par voie de conséquence, vivent dans la rue, même si une portion d’entre eux passent la nuit dans des centres d’hébergement. Il s’agit d’un euphémisme, vous l’aurez compris. Un mot plus doux pour désigner les sans-abri, les clochards, les robineux. Dans une ville comme Montréal, on compterait entre 2 500 et 5 000 itinérants dans les quartiers centraux de la ville. C’est moins que ne le croyaient les artisans du malheur qui multipliaient ce chiffre par dix. Au Québec, certains aiment bien les victimes et pratiquent la victimisation à grande échelle pour se conforter dans leur morne existence. N’empêche que 5 000 personnes dans un centre-ville, ça fait tout de même beaucoup de monde qui déambule dans les rues en quête d’une maigre pitance. Et quand les trois maisons qui les accueillent sont situées dans les quartiers touristiques de la ville, vous pouvez imaginer le topo quand les beaux jours reviennent.
À l’instar de la plupart de mes contemporains, je me sens démuni devant cette misère humaine que je croise chaque jour à la sortie du métro. J’essaie parfois d’obtenir un contact visuel, de poser un regard tranquille, dénué de tout jugement, mais ça n’est pas toujours évident. Certes, je laisse parfois de la monnaie, pas aux jeunes toxicomanes, non, mais aux plus vieux, oui, ça m’arrive, même si je sais que ça n’aura aucun effet sur leur condition. Mais le don est un geste humain, une valeur absolue dans le catholicisme de mes ancêtres, une valeur qui repose sur des siècles de civilisation que partage d’autres grandes religions. Les musulmans, par exemple, ont l’obligation religieuse de donner aux pauvres le vendredi. On l’appelle le Zakat, un des cinq piliers de l’islam. En conséquence, que l’on soit chrétien ou musulman, on ne peut se soustraire au don. Bref, je donne, je donne, notamment à cet itinérant plus âgé, car je ne sais absolument pas quoi faire d’autre…
Vous le savez, vous ?