Jules Romains : Les hommes de bonne volonté 3 - Les amours enfantines
Daniel Ducharme | Lectures | 2022-02-01
Ce troisième volume débute par un long monologue intérieur de Jerphanion alors qu’il médite sur le toit de son école. Au loin, il y a Paris et ses monuments, et cet horizon incite le jeune homme à la méditation. Quand il rentre dans son dortoir (dans les faits, un espace qu'il partage avec Pierre Jallez dont il est devenu l'ami), ce dernier lui raconte l'histoire de son amour d'enfance : Hélène Sigeau.
Plus loin dans le roman, nous retrouvons le personnage de Quinette, l'étrange relieur qui a assassiné Leheudry au volume précédent. Il efface une à une toutes les traces qui le relient à sa victime, brûlant chaque soir une pièce d'un vêtement contenu dans la malle de celui-ci… Surtout, il revit en mémoire le crime qu'il a commis le 14 octobre. Un récit troublant que nous sert d'une main de maître Jules Romains. À l’instar de plusieurs meurtriers pathologiques, il brûle d’envie d’aller offrir son aide à la police...
Encore plus loin, nous retrouvons Jerphanion chez les Saint-Papoul, une famille aristocratique que l’auteur nous a présenté au volume précédent. Jerphanion aide le jeune homme à faire ses devoirs. Mais cette incursion de Jerphanion permet à l’auteur de basculer vers la tante, une vieille fille, et sa nièce, la soeur du jeune homme. Et on pénètre dans une autre monde, un milieu aussi fascinant. La relation entre Bernardine, la vieille fille, avec Jeanne, s'avère assez singulière. Bernardine aime parler de sexualité avec Jeanne, seulement âgée de dix-neuf ans et dont les amours, essentiellement platoniques, sont ambivalentes car elle est éprise autant de Huguette, sa meilleure amie, que de son cousin, sans compter son enseignante…. Aujourd'hui, on dirait sans doute qu'elle est Queer….
Des Saint-Papoul on se transporte chez les Champcenais, une autre famille à particule, mais sans doute moins noble que la précédente. Il y aura un dîner ce soir, comme chez les Saint-Papoul. Pour se préparer, Marie de Champcenais va chez sa manucure, une certaine Renée, qui lui raconte sa relation charnelle avec son mari. Cette conversation libre avec une « fille du peuple » jette un certain trouble dans l’âme de Marie qui se demande si elle franchira le cap de l’adultère avec monsieur Sammécaud, un associé de son mari. D’ailleurs, un chapitre ou deux plus loin, celui-ci fait l’éloge de la tromperie et du mensonge, et cela nous vaut des pages assez étonnantes pour les lecteurs - surtout Québécois - du XXIe siècle, lecteurs dont la moralité si « pure » rappelle parfois celle des Quakers…
À la fin du volume, Jules Romains approfondit deux personnages. Le premier est nul autre que le député Gurau, l’amant de Germaine Baader, dont on a fait la connaissance dans les volumes précédents. Gurau tente de faire de la bonne politique, de la politique assise sur une morale sociale. Mais il a du mal, surtout quand il discute avec Sammécaud, un lobbyiste des pétrolières. Quant au deuxième personnage, il s’agit du critique littéraire Georges Allory que le lecteur rencontre pour la première fois. Le cliché de l’écrivain raté qui devient journaliste critique vient peut-être de là…
Ce troisième tome des Hommes de bonne volonté se déroule au début de l’hiver 1908. Il est empreint de nostalgie pour ce monde qui s’apprête à basculer dans la modernité. Jules Romains rend compte avec passion des débats entre les tenants de la voiture et du cheval. Un peu comme aujourd’hui où plusieurs personnes s’opposent aux technologies montantes. La voiture finira par triompher, tout comme la guerre qu’on sent poindre au loin. Nostalgie aussi envers les amours d’enfance, les premières amours qu’on a tous vécues au début de l’adolescence. À l’exception des pages sombres qui mettent en scène le personnage de Quinette, la lecture de troisième volume nous émeut dans notre cœur d’homme et de femmes du XXIe siècle. Je vous en recommande la lecture.
Romains, Jules. Les amours enfantines (Les hommes de bonne volonté 3). Flammarion, c1932