Daniel Ducharme – Les mots de la fin

Alexandre Dumas : Le capitaine Pamphile


Daniel Ducharme | Lectures | 2018-08-30


Le capitaine Pamphile est sans doute le roman le plus baroque, le plus farfelu, sinon le plus original, des romans d'Alexandre Dumas, et Dieu sait combien il en a écrit, des romans ! Il ne sera pas facile d'en rendre compte... mais on ne perd rien à essayer.

D'abord, une précision : Le capitaine Pamphile est une histoire racontée dans une histoire. Cette technique de la double intrigue n'est pas nouvelle, je sais, mais chez Dumas elle prend une couleur particulière, notamment en raison du mélange des genres. D'aucuns ont prétendu que ce roman était destiné à la jeunesse... mais, en raison de la gravité des sujets abordés (colonisation, traite des esclaves, fraude financière à grande échelle, etc.), je ne souscris pas à cette idée... aussi farfelue que le roman lui-même. Toutefois, je peux comprendre qu'on puisse le penser, notamment parce que, dans ce roman, les animaux, personnages au même titre que les humains, jouent un rôle essentiel dans ce double récit. L'auteur se sert d'eux, en fait, pour établir le lien entre la vie de bohème des amis du peintre Alexandre Descamps et celle du capitaine Pamphile. Chez Decamps on est à Paris ; avec à le capitaine, on est en Afrique, en Asie, en Amérique, notamment chez les Hurons des Grands-Lacs, frontière naturelle entre les États-Unis et le Canada.

Bon, l'histoire... Tout commence quand le narrateur, pour sauver une tortue (Gazelle) de l'assiette d'un Anglais (au bord du suicide, il souhaitait la déguster en soupe en guise de dernier repas), s'en porte acquéreur pour aussitôt la confier à son ami Descamps qui tient une véritable ménagerie dans son atelier de peintre. En effet, il y a là un ours (Tom), des singes (Jacques I et Jacques II), une grenouille (mademoiselle Camargo), un chien, un chat et quelques oiseaux. Chaque soir, le groupe d'amis se réunissent chez Descamps, et, chaque soir, l'un d'entre eux raconte comment tel animal s'est retrouvé dans l'atelier du peintre... Bref, vous l'aurez compris, la provenance de ces animaux a quelque chose à voir avec le capitaine Pamphile qui, la plupart du temps, en était le premier acquéreur.

On suit donc les aventures du capitaine Pamphile de soir en soir à partir de l'atelier de peintre d'Alexandre Decamps. Ces aventures représentent visiblement ce qu'il y a de pire en Occident : la colonisation sauvage, la traite négrière, le commerce de défenses d'éléphant et d'espèces menacées, le pillage des ressources des pays du sud, l'asservissement des peuples autochtones, etc. D'où les questions que plusieurs lecteurs peuvent poser : Quelle était l'intention d'Alexandre Dumas quand il a écrit les aventures burlesques du capitaine Pamphile ? Cherchait-il à dénoncer l'injustice qui avait cours dans le monde colonial du début du 19e siècle ? Comment un auteur, lui-même issu d'un métissage racial, peut-il laisser penser, ne serait-ce qu'une seconde, qu'il admirait ce capitaine ? Sur le site Critiques libres, vous pourrez lire un compte rendu de cet ouvrage qui va un peu dans le même sens de ma propre critique. Par contre, les commentaires sont divergents et certains lecteurs prétendent qu'il n'y a pas de "second degré" chez Dumas... Bien entendu, je ne prête pas foi à ces sornettes parce que, à mon avis, le capitaine Pamphile est une espèce de parodie du héros colonial. Certes, il y a une certaine subtilité, mais l'ironie demeure... et cette caricature bouffonne de colonial s'avère une forme de dénonciation du colonialisme européen avant la lettre. N'oubliez pas le contexte historique de l'écriture du roman. En 1839, date de sortie du roman, le colonialisme avait encore de belles années devant lui (au moins cent ans, en fait...), et je ne suis pas certain qu'un jeune auteur, métis de surcroît, pouvait se permettre une critique ouverte de ce phénomène.

Pour finir, quelques citations très éloquentes :

Sagesse du Huron par rapport à Pamphile et, par extension, aux Occidentaux : "Le Serpent-Noir a-t-il déjà fini sa chasse ? dit le capitaine Pamphile. – Le Serpent-Noir a tué d’un seul coup tout ce qu’il lui fallait de pigeons pour son souper et celui de sa suite ; un Huron n’est point un homme blanc pour détruire inutilement les créatures du Grand Esprit."

Effets de la colonisation, une dénonciation toujours valable aujourd'hui : "Le capitaine Pamphile, qui était observateur, remarqua avec étonnement le changement qui s’était opéré dans le pays depuis qu’il l’avait quitté. Au lieu de ces belles plaines de riz et de maïs qui trempaient leurs racines jusque dans la rivière, au lieu des troupeaux nombreux qui venaient, en bêlant et en mugissant, se désaltérer sur ses bords, il n’y avait plus que des terres en friche et une solitude profonde."

Une vision sarcastique de la traite négrière : "Heureusement que c’était des hommes ; si c’eût été des marchandises, la chose était physiquement impossible ; mais c’est une si admirable machine que la machine humaine, elle est douée d’articulations si flexibles, elle se tient si facilement sur les pieds ou sur la tête, sur le côté droit ou sur le côté gauche, sur le ventre ou sur le dos, qu’il faudrait être bien maladroit pour n’en pas tirer parti".

Et puis : "Après deux mois et demi d’une heureuse traversée pendant laquelle, grâce aux soins paternels que le capitaine prit de son chargement, il ne perdit que trente-deux nègres, la Roxelane entra dans le port de la Martinique."

Devrait-on lire Le capitaine Pamphile ? Oui, sans aucun doute, même si certains passages sur les animaux aurait pu être retranchés. Cela dit, je manque de recul parce que, à mon avis, on devrait lire tout Dumas ! Alors, allez-y comme vous le sentez...

Alexandre Dumas, Le capitaine Pamphile. Bibliothèque électronique du Québec, c1839.