Les mots de la fin

La finalité des choses


Daniel Ducharme | Idées | 2024-07-15


Quand nous prenons la peine d'observer le monde autour de nous, nous nous rendons vite compte que nous sommes nombreux à oublier la finalité des choses. Comme si nous ne savions plus pourquoi nous allons au travail le matin, voire pourquoi nous nous arrachons du lit pour nous y rendre. Un peu comme ces gens qui discutent sans fin de leurs chaînes audio haut de gamme sans jamais aborder la question de leurs choix musicaux, de ce pour quoi, en fin de compte, ils ont acheté ces chaînes, souvent hors de prix par ailleurs. La finalité de ces chaînes audio se situe dans l'écoute musicale. Et si certaines personnes dépensent autant d'argent pour en faire l'acquisition, nous sommes en droit de supposer que la musique joue un rôle important dans leur vie. Car on n'achète pas ces choses-là pour écouter de la chansonnette, du moins je l'espère pour eux. Nous pourrions en dire autant de ceux qui passent leur vie à discuter des performances des ordinateurs et, plus généralement, des objets technologiques. Combien de fois n'ai-je pas vu des gens jouer à des jeux sur des téléphones à mille dollars pièce ? Remarquez que, pour ces gens-là, la finalité de cet objet réside peut-être dans la possibilité qu'il permet de jouer à des jeux sophistiqués. Qui suis-je pour les juger ?

Dans nos faits et gestes de la vie quotidienne, il convient toujours de se rappeler pourquoi nous accomplissons nos activités. Pourquoi, c'est-à-dire dans quel but, à quelle fin. Si nous avions toujours à l'esprit la finalité des choses, il est probable que nous commenterions moins d'erreurs, que nous ferions moins de bêtises. Malheureusement, la sagesse n'est pas la seule source qui commande nos vies. La passion en est une autre, la plus déraisonnable de toutes. Et d'aucuns ne pourraient envisager l'existence sans passion. Il n'en demeure pas moins qu'avoir constamment à l'esprit la finalité des choses permet de nous orienter dans la bonne direction, de garder le cap et, surtout, de prendre des décisions en fonction de ce qui importe, de ce qui compte vraiment.

Par ailleurs, prendre conscience du pourquoi d'une action lui confère un sens, une raison d'être, cela nous permet aussi d'être plus cohérent, d'harmoniser nos actions avec nos convictions, avec nos principes. Ici, j'aurais pu écrire "valeurs" mais, depuis qu'il est employé par n'importe qui, notamment par de nombreux hommes, par de nombreuses femmes, politiques au pouvoir, j'ai développé une méfiance envers ce concept qui gagnerait à être revisité. Déjà, si nous pouvions relire Le traité des valeurs (1937), cet ouvrage monumental du philosophe Louis Lavelle... Mais il devient rare, aujourd'hui, d'entreprendre des lectures complexes. Qui se donne la peine de lire la Critique de la raison pure (Kant), L'être et le temps (Heidegger), Le Capital (Marx et Engels) (dont les premiers chapitres portent justement sur la notion de valeur), voire La république (Platon) ? Nous vivons à l'ère du "faire court", du "tout maintenant". Heureusement, des robots conversationnels nous permettent d'obtenir des résumés de moins de 500 mots des œuvres des grands philosophes. Pour les plus curieux, Wikipédia fait mieux en fournissant un contexte et des sources. Peu importe, là n'est pas la question.

Je ne suis pas un philosophe et, si je m'adonne à la lecture de certains ouvrages de philosophie, c'est en pur dilettante que je le fais. Mais il n'est pas nécessaire d'avoir lu la Somme théologique de Thomas d'Aquin pour s'interroger sur la finalité d'une action que nous nous apprêtons à commettre. Un recul qui pourrait s'avérer salutaire parfois. Quant à ceux et celles qui prétendent que seul le comment importe parce qu'il est le seul qu'il nous est donné de connaître, il s'agit simplement de leur rappeler que, comme l'ont écrit de nombreux philosophes au cours de l'Histoire, dans le domaine du pourquoi la question importe davantage que la réponse et que, sans cette question, nous sommes condamnés à errer sans fin dans le monde de la technique, en nous éloignant de plus en plus de la finalité des choses, bref du sens de nos actions. Autrement dit, nous priver du pourquoi au seul profit du comment équivaudrait à nous priver de sens, à se résoudre à vivre sans savoir pourquoi nous vivons.

Pourquoi vivons-nous, hein ? Misère, nous ne nous en sortirons jamais...


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