Les mots de la fin

Le moment des autochtones


Daniel Ducharme | Société | 2023-09-15


Je souhaite entreprendre une réflexion sur mon rapport aux autochtones. Ce faisant, il est fort possible, voire probable, que j'écrive quelques bêtises, mais ne vous en offusquez pas car, même si je suis né ici, dans ce pays, je connais très peu ces nations que l'on dit premières. Je risque donc de commettre quelques erreurs. Peut-être même choquerais-je certaines personnes plus sensibles que je ne le suis aux réalités autochtones. Soyez indulgents.

Commençons par ce que je sais. Je suis un descendant des Français qui ont colonisé cette partie du monde. Au milieu du XVIe siècle, quand ils ont débarqué dans la vallée du Saint-Laurent, il y a eu choc de civilisations, un choc entre une nation techniquement avancée et des sociétés primitives disséminées sur un vaste territoire. Je suis conscient que ce qualificatif de « primitif » peut être choquant, mais il n'en demeure pas moins le terme correspondant à la réalité, du moins du point de vue ethnologique. Avant de crier à l'eurocentrisme et de pousser des cris d'indignation, il faut bien avoir à l'esprit que cette « supériorité » s’avère purement technique, et non civilisationnelle. Selon mon point de vue, il s'agit d'une réalité objective. Le même phénomène s'est produit pendant tout le processus de colonisation de l'Afrique et cela n’enlève rien à la qualité des civilisations africaines, souvent bien supérieures à celles de l’Europe dont les populations, d’ailleurs, se sont aliénées leurs propres traditions au profit d’une course à la production et à l’accumulation de biens matériels. Donc, si supériorité il y a, elle est matérielle et, par extension - militaire. Car il ne faut pas oublier que les civilisations se construisent par les guerres. Que serait la Californie sans les conquêtes américaines sur les armées mexicaines ?

Revenons au propos initial, sur ce que je sais. Les Français se sont installés sur les terres des autochtones au nom de leur roi, même s'ils ne disposaient d’aucun titre de propriété pour justifier leurs prétentions. Ils l'ont fait sciemment, en sachant parfaitement bien qu'ils délogeaient les premiers habitants de ce pays qui était le leur depuis toujours et qui est devenu le nôtre par la suite, même si ça ne faisait pas nécessairement leurs affaires, aux autochtones. Au temps de Jacques Cartier, ça s'est plutôt mal passé, d’ailleurs, et les Français ont quitté le Canada pour n’y revenir qu'une soixantaine d'années plus tard. Et puis, à partir du XVIIe siècle, les autochtones nouaient des alliances, qui avec les Hollandais, qui avec les Anglais, qui avec les Français. Ceux-ci - ceux dont je descends - n'étaient pas plus pires que les autres. Ils ont navigué au milieu des guerres fratricides, faible en nombre, pour finir par capituler devant les Anglais, les seconds colonisateurs de mon pays. Après ça, nous sommes devenus nous-mêmes une nation sous le joug d'une autre... Une nation colonisée par les Britanniques qui, ne l’oublions pas, ont conquis militairement le pays que nous avions ravi aux autochtones.

Après, je ne sais plus grand chose…si ce n’est qu’avec le temps les territoires autochtones sont passés sous administration fédérale. De cette période, pour dire la vérité, je ne sais rien… J’étais trop occupé, dans ma jeunesse, à appuyer les luttes associées à notre propre libération, en tant que nation d’expression française non reconnue en Amérique, pour me soucier du sort des autochtones. Car il faut bien avoir à l'esprit que, étant né à Montréal, je n'ai jamais connu d'autochtones. Parfois, mes parents me parlaient de Caughnawaga (Sault Saint-Louis), aujourd'hui Kahnawake pour respecter l'orthographe Mohawk. On disait d'ailleurs les Iroquois, pas les Mohawks. Et les Iroquois ne parlaient pas français puisqu'ils étaient les alliés quasi naturels de nos colons anglais. Dans les manuels d'histoire, on pouvait lire qu'ils nous maltraitaient, nous torturaient pour je ne sais trop quelle raison. Peu importe, ils étaient méchants, ça c'est certain... les prêtres martyrs sont là pour en témoigner. Mais aujourd'hui j'ai bien conscience que l'histoire qu'on nous racontait servait surtout à nous valoriser, nous, vaste majorité dominée - et dépossédée, comme les autochtones que nous avons nous-mêmes dépossédés - par les Anglais.

J'ai connu dans ma jeunesse cette lente progression des Canadiens-Français, nation opprimée, vers leur libération dans les années 1970. C'est là que nous sommes devenus des Québécois, passant d'un nationalisme ethnique à la Lionel Groulx, à un nationalisme civique et territorial. Et aujourd'hui, même si nous avons échoué à faire l'indépendance de notre pays, nous sommes devenus une nation qui se tient debout au sein de la fédération canadienne. D'aucuns disent que nous sommes toujours opprimés... À d'autres, car je ne partage pas cet avis. Les ressortissants à peine éduqués d'une nation opprimée ne se permettent pas un voyage annuel à Cuba ou en République dominicaine pour aller se faire servir comme des pachas, souvent par des gens plus éduqués qu'eux. Ils ne s'offrent pas non plus des maisons avec garage triple dans une banlieue de Montréal. Non, malgré notre fragilité collective, il ne serait pas sérieux de prétendre que nous vivons toujours sous le joug des colons britanniques. Nous sommes une minorité dans une majorité, comme les Romands par rapport aux Alémaniques en Suisse, bien que les francophones de Suisse n’aient jamais été opprimés par la majorité alémanique - il s’agit d'une tout autre histoire que la nôtre, on l’aura compris, et j’ai sans doute eu tort d’esquisser une comparaison…

Et nous voilà dans le premier quart du XXIe siècle, au moment où nous sortons d’une pandémie mondiale et, comme par hasard, nous prenons enfin conscience que les peuples autochtones ne faisaient pas partie de nos préoccupations... À notre défense, il faut dire que les réserves autochtones ont été mises sous administration fédérale et que le gouvernement du Québec avait peu de pouvoir sur elles. N'empêche qu'il n'y a pas de quoi à être fier de notre politique autochtone des cinquante dernières années, voire des cent dernières années. Quant à nous, les Québécois, nous sommes devenus un peuple arrogant où l'inégalité sociale règne en maître, où peu de gens reçoivent une éducation de qualité, à l'exception de ceux qui ont les moyens de s'offrir une école privée, héritage de l'ancien régime des communautés religieuses qu'on ne cesse de mépriser, sans vraiment les connaître. Mais il s'agit là, encore une fois, d'une autre histoire que j'aborderai une autre fois.

Nous avons connu le moment du nationalisme québécois, période nécessaire l'affirmation de notre identité au sein de la fédération canadienne. Nous aurions pu devenir un pays, certes, mais ça ne s'est pas fait, que voulez-vous, et il n'est pas lieu de revenir là-dessus. Car nous sommes passé à un autre moment, celui des autochtones qui, à travers le Québec, commencent à s'affirmer. Espérons que ce moment favorise l’éclosion d'une société plus juste pour l'ensemble des habitants de ce territoire, cédé ou pas.


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