La guerre : Nothing to die for
Daniel Ducharme | Société | 2023-03-15
Récemment, j'ai mis une publication sur Facebook sur la guerre en Ukraine. Dans un texte de quelques lignes, j'ai déploré l'escalade de ce conflit militaire qui se manifeste par l'envoi d'un armement de plus en plus sophistiqué, de plus en plus destructeur. En lisant par la suite les commentaires que ce post a suscité, j'ai regretté mon geste. Dorénavant, je ne mettrai plus de billet à saveur politique sur ce réseau social. Quand on discute de la guerre en général, et de celle de l'Ukraine en particulier, force est de constater un aveuglement volontaire face aux possibles errements des politiques canadiennes et américaines dans le monde. Je ne suis pas le premier à faire cette constatation. Déjà, l'écrivain anglais John Le Carré, dans Une amitié absolue, sans doute son plus beau roman, le signalait quand il constatait le manque d'indignation du monde occidental face aux raisons invoquées par le gouvernement américain (des armes de destruction massive qu'on n'a jamais retrouvées) pour déclencher la guerre en Irak, une guerre qui a fait des milliers de morts et des millions de déplacés. Et je ne parle pas de la juge Louise Arbour qui n'en revenait tout simplement pas qu'on ait procédé à l'arrestation de la présidente de Huawei sur simple demande des États-Unis. Par la suite, on n'a plus trop chercher à l'entendre sur cette question. Ces grands juristes de réputation internationale, on les interview quand ça nous arrange, quand ça va dans le sens qu'on s'attend d'eux. Sinon, on préfère ne pas les inviter aux émissions d'affaires publiques.
Bref, les Québécois, et plus largement les Canadiens, sont devenus pro-américains. Certes, le Canada est un pays allié des États-Unis depuis longtemps. Sauf que, au temps de ma jeunesse à tout le moins, beaucoup de personnes, notamment des journalistes comme Pierre Nadeau, n'hésitaient pas à adopter un discours critique sur les politiques de nos voisins du sud. Aujourd'hui, on se range de leurs côtés en se disant qu'on préfèrerait vivre aux États-Unis plutôt qu'en Chine ou en Russie, deux pays qu'on ne cesse de diaboliser depuis une dizaine d'années. Je comprend qu'il est sans doute préférable de vivre à Washington plutôt qu'à Saint-Pétersbourg, à la condition toutefois d'occuper une position enviable dans la société américaine, histoire d'éviter de se retrouver dans une tuerie de masse, phénomène quasi quotidien dans ce pays où n'importe quel débile peut se procurer une arme à feu. Mais je comprends mal l'absence d'esprit critique envers un pays qui fait la loi et l'ordre dans le monde, n'hésitant pas à défaire des gouvernements quand ceux-ci ne vont pas dans le sens de leurs intérêts. L'autre soir, lors d'un repas avec des collègues, l'une d'entre elles a clamé sa crainte que la Russie utilise l'arme nucléaire. Je lui ai répondu, en espérant la rassurer, que, pour le moment, le seul pays qui ait osé lâcher une bombe atomique, tuant plus de 50 000 personnes d'un seul coup, c'est les États-Unis, pas la Russie ni l'Iran. Croyez-le ou non, elle a justifié cet acte barbare dans le contexte d'une guerre mondiale, comme s'il s'agissait de la meilleure chose à faire pour mettre fin au conflit. Est-ce que l'usage de la bombe atomique en 1945 était une nécessité ? Des experts en discutent encore aujourd'hui, soixante-quinze ans après les faits... Peu importe, je constate simplement que peu de gens peuvent discuter de l'état actuel du monde avec objectivité, avec rigueur, en situant les actions dans leur contexte et en évitant les arguments d'autorité.
Quant à ce post sur Facebook qui a déclenché quelques commentaires désagréables, il était d'une grande naïveté, j'en conviens sans peine. Que voulez-vous ? J'ai parfois une vision angélique du monde, une vision toute simple qui postule que la paix vaut mieux que la guerre, que la vie vaut mieux que la mort, qu'il s'avère inacceptable qu'on puisse encore déclencher des guerres en 2023 alors qu'il existe un tas de moyens - diplomatiques, entre autres choses - pour l'éviter. Et, en pensant à tout cela, je me complais à chanter in petto le passage suivant de la chanson de John Lennon (Imagine) :
Imagine there's no countries It isn't hard to do Nothing to kill or die for And no religion, too Imagine all the people Livin' life in peace
Mais les gens me rétorquent : la Russie est l'agresseur, alors il vaut y aller. Quand on se sent dans son droit, les pires infamies se justifient aisément. Il en est toujours ainsi en temps de guerre, unique phénomène qui nous autorise à tuer notre prochain sans aucune culpabilité, même quand on finit par y prendre goût. Et quand j'entends notre ministre fédéral, une jeune femme au sourire éclatant, tenir un discours carrément guerrier sur la Russie, voire sur la Chine, je suis perplexe. Pour la plupart des gens, surtout pour nos politiques, cette guerre est justifiée. Mais je crois, en mon âme et conscience, que rien ne justifie la guerre, pas même les infamies de la Russie. Rien.
Je termine ce billet par cette citation de Louis-Ferdinand Céline tirée de Voyage au bout de la nuit (1932) :
Lola, je refuse la guerre et tout ce qu’il y a dedans… Je ne la déplore pas moi… Je ne me résigne pas moi… Je ne pleurniche pas dessus moi… Je la refuse net, avec tous les hommes qu’elle contient, je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec elle. Seraient-ils neuf cent quatre-vingt-quinze millions et moi tout seul, c’est eux qui ont tort, Lola, et c’est moi qui ai raison, parce que je suis le seul à savoir ce que je veux : je ne veux plus mourir.
Moi aussi, je sais que j'ai raison.