Les mots de la fin

Des hommes d'exception


Daniel Ducharme | Idées | 2022-12-15


Je me suis endormi hier soir en lisant Marie-Madeleine Davy, une autrice avec laquelle je me sens en parfaite communion. Il y a longtemps que les mots d'un auteur n'avait pas résonné ainsi à mes oreilles. Ces mots ont un effet positif sur moi, entre autres choses ils m'aident à accepter ma finitude et, de façon plus générale, ils orientent mon cheminement vers la sagesse. Quant à la vie intérieure, dont elle ne cesse de clamer l'importance, j'avoue que je n'arrive pas encore à y accéder. Il ne faut toutefois pas s'en faire. Comme elle l'écrit elle-même, ce cheminement vers l'intériorité est long et semé d'embûches. Certains - la majorité des gens, en fait - n'y parviennent jamais. Je me reconnais toutefois dans ses propos quand elle écrit qu'elle n'a jamais cessé de chercher, de comprendre et, par le fait même, à étancher sa soif d'absolu. Du coup, ça me rappelle deux amis qui ont éprouvé cette même soif.

Le premier est un ami de Pointe-aux-Trembles que j'ai fréquenté de dix-sept à vingt ans : François Garon. Il est mort au Cameroun en 2012. En juin 2016, j'ai commenté une biographie que sa soeur Anne a publié sur lui  : Frère François, comme une flûte de roseau. François a toujours eu soif d'absolu et, de ce point de vue, il n'était pas, et n'a jamais été, comme les autres. Alors qu'il n'avait pas encore atteint l'âge de vingt ans, insatisfait de sa vie, il a quitté Montréal, tout seul avec son baluchon, pour se rendre dans l'ouest du pays et, de là, il est passé en Californie. Il a alors intégré la secte de Moon. À son retour à Montréal en 1980, d'aucuns le trouvaient dérangé, peu stable, presque fou, quoi ! La vie étant ce qu'elle est, j'ai cessé de le voir pendant mes années universitaires. Je l'ai revu par la suite alors que je travaillais pour l'École des HEC de Montréal en 1986-1987. Il avait repris ses études en théologie et, peu de temps après, il a rejoint la communauté des Franciscains de l'Emmanuel, faisant voeu de grande pauvreté. C'est alors qu'il dirigeait une mission au Cameroun qu'il a succombé à une crise cardiaque en 2012. J'ai lu su par hasard en consultant la nécrologie du journal...

Le second est nul autre que René Girard, un gars que j'ai connu quand je travaillais dans le réseau des bibliothèques de la Ville de Montréal au début des années 1980. Contrairement à François, il n'a pas emprunté le chemin religieux, mais celui de la littérature, celle qui conduit à la plus grande authenticité possible. C'est grâce à René que je connais Raymond Abellio, J.M.G. Le Clézio et bien d'autres. Lui aussi est mort trop tôt. On l'a retrouvé sans vie dans son appartement au moins d'août 2007 ; il avait 49 ans. Nous nous étions un peu brouillés en raison de ses positions rigides sur ÉLP, un magazine en ligne que nous avons fondé en 2005. Mais il s'agissait d'une brouille sympathique, une brouille qu'une simple conversation aurait pu régler. Malheureusement, nous n'avons pas eu le temps de l'avoir, cette conversation, car je revenais d'un long voyage aux Comores à ce moment-là. Et l'année 2007 fut sans doute l'année la plus dense de toute ma vie personnelle et professionnelle.

Ces deux amis avaient soif d'absolu mais de manière fort différente. Le premier a emprunté la voie religieuse, le second la voie laïque qui aurait fort bien pu basculer dans l'ésotérisme à la Raymond Abellio. L'un comme l'autre était des hommes de convictions. Il leur manquait l'humour, ce qui aurait pu les sauver... Aujourd'hui, avec le recul, je me demande bien quelle aurait été la pertinence de ce "sauvetage". Au fond, ils ont vécu en accord avec leur conviction, tous les deux ayant fini leur vie dans la pauvreté, l'un de manière volontaire, l'autre en raison des aléas de sa vie professionnelle.

N'empêche que l'un comme l'autre, chacun à leur manière, ont vécu des vies d'exception. Mes prières les accompagneront jusqu'à ma fin.


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