Cinq œuvres littéraires marquantes
Daniel Ducharme | Critiques | 2015, mise-à-jour : 2022-07-15
Un de mes amis facebookiens m’a mis au défi de faire la liste des dix œuvres littéraires les plus marquantes. Puisque je ne me suis pas contenté d’une liste, je présente ici les cinq premières. Bien entendu, il s’agit d’œuvres marquantes non pas pour l’histoire de la littérature, mais pour ma propre histoire personnelle. C’est pourquoi chacune des notices suivantes débutent par « parce que », simplement pour répondre à la question: Pourquoi cette œuvre, et pas une autre ?
Cinq œuvres marquantes pour moi, donc. En provenance d’auteurs de France, d’Angleterre, des États-Unis et du Québec.
01 - À la recherche du temps perdu / Marcel Proust (1913-1927)
Parce que c'est une œuvre qu'on ne finit jamais de lire... Découverte à l'âge de vingt ans alors que j'étais étudiant en philosophie à l'université, l'ouvrage de Proust ne me quitte plus depuis. Aucun autre écrivain n'a été aussi loin dans la compréhension du désir humain. Une fois qu'on a compris la structure de ce roman-fleuve, on y revient sans cesse et ce, tout au long de sa vie. Au printemps 1978, j'ai loué une chambre à Québec dans le seul but de lire les quatre ou cinq volumes de ce roman dont la lecture avait débuté à l'automne précédent. Une expérience inoubliable. Dix ans plus tard, alors que je coulais des jours tranquilles dans l’archipel des Comores, j’ai relu La Recherche dans l’édition en trois volumes parue dans la collection Bouquins de Robert-Laffont. Et j’ai repris la lecture depuis en format numérique. Pour les curieux, l’oeuvre magistrale de Proust est également disponible en ligne à cette adresse URL.
02 - La crucifixion en rose / Henry Miller (1949-1960)
Parce que cette œuvre m'a redonné le goût de vivre après une période particulièrement sombre de mon existence. À vingt-six ans, après six mois de vagabondage à Paris, je suis rentré au Québec et, dans les mois suivant mon retour, j'ai lu d'une seule traite les trois volumes (Sexus, Plexus et Nexus) de cette œuvre prodigieuse qui raconte les déboires d'un écrivain à New-York avant qu'il ne parte à Paris pour – justement – s'y établir..., ce que je venais de tenter de faire en vain. La crucifixion en rose est une véritable ode à la créativité que tous les moins de trente ans devraient lire sans tarder.
03 - Les yeux d'Ézéchiel sont ouverts / Raymond Abellio (1949)
Parce que rien de ce que j'avais lu jusqu'à présent ne ressemblait aux textes de cet auteur... À l'instar d'Henry Miller, Raymond Abellio déploie son œuvre autour de trois romans : Les yeux d'Ézéchiel sont ouverts (1949), La fosse de Babel (1962) et Visages immobiles (1986). Cet écrivain, que je ne prétends pas comprendre (tout comme je ne comprends pas Martin Heidegger, ce qui ne m’empêche pas de lire), mêle fiction, métaphysique, ésotérisme et action politique. C'est littéralement passionnant : de la Guerre d'Espagne au communisme post-soviétique, on plonge au cœur de l'aventure intellectuelle du XXe siècle.
04 - Une amitié absolue / John Le Carré (2003)
Parce qu'il est rare qu'un auteur, célèbre pour ses romans d'espionnage et, donc, désabusé par nature, fasse entendre haut et fort son indignation de l'Occident – cet espace de civilisation qu'il a pourtant longtemps défendu. Une amitié absolue est un cri du cœur d'un écrivain anglais qui signe en même temps sa plus grande réussite romanesque. Pourquoi a-t-on accepté qu'un pays et son président déclenchent une guerre sous un prétexte que le monde entier tient pour faux ? Des milliers de morts inutiles, des millions de déplacés... On ne peut pas lire ce roman et continuer de voir le monde comme on le voyait avant sa lecture... Un roman bouleversant dont on ne ressort pas indemne.
05 - Monsieur Melville / Victor-Lévy Beaulieu (1978)
Parce qu'au Salon du livre de Montréal en cet automne 1978 je me suis retrouvé par hasard à la table de cet écrivain – que je connaissais encore très peu, alors. Sans trop savoir pourquoi, j'ai pris les trois tomes de ce Monsieur Melville, dont je n'avais lu aucun des romans, même pas Moby Dick (qui me rappelait davantage la pièce de Led Zeppelin...) et, quand je me suis retrouvé devant Victor-Lévy Beaulieu, il m'a demandé si je voulais une dédicace. Impressionné, je lui ai fait une réponse stupide, du genre: « Je ne suis pas en faveur du fétichisme de l’écrivain... mais pourquoi pas ? ». Il m'a écrit, sur la page de garde du premier volume: « À Daniel… afin de célébrer le fétichisme de la Grande Baleine ». De retour à la maison, j'ai débuté la lecture de ce triptyque qui m'a enchanté. Monsieur Melville est une sorte de docu-fiction avant la lettre. Un récit qui nous prend jusqu'à la dernière page du dernier tome. Depuis lors, j’ai tenté à plusieurs reprises de lire Melville sans y parvenir...