Les mots de la fin

Ce que traduire veut dire : Hommage à Paul Laurendeau


Daniel Ducharme | Idées | 2022-05-15


Que ce soit sur son blogue, sur celui d'ÉLP éditeur ou sur le webzine Les 7 du Québec, Paul Laurendeau offre différentes traductions à ses lecteurs, toutes aussi percutantes les unes que les autres.

La première qui me vient à l'esprit est L'ère du verseau, traduction d’Aquarius (texte de James Rado), hymne d'ouverture à l'opéra-rock Hair (1967) - un moment clé de l'histoire de la contre-culture américaine à la fin des années soixante.

La deuxième s'avère nulle autre que Le corbeau, le poème d’Edgar Allan Poe (The Raven), que Paul Laurendeau, après Baudelaire et Mallarmé, a traduit en français. Après d’aussi illustres poètes, personne n'avait osé traduire en français le célèbre poème de Poe. Pour justifier son audace, Paul Laurendeau écrit : « Ces deux poètes français majeurs, en utilisant le vers libre et de fines altérations du sens, ont tiré ce texte vers le fantastique et/ou le symbolisme en en sacrifiant la musicalité d’origine. Aussi le résultat procède d’eux bien plus que de Poe. La traduction proposée ici est due pour la première fois à un francophone d’Amérique, intime avec le sens du grotesque et de l’autodérision inhérents à la sensibilité intellectuelle de Poe, et exempt de la typique sensiblerie sacralisante européenne. Le rythme et le sens sont scrupuleusement respectés. À réciter à haute voix. »

Ensuite, Paul Laurendeau a entrepris de traduire en français des chansons des Beatles, dont Quelque chose en elle, traduction française de Something, écrite par George Harrison. Dans le même esprit, il a également traduit la chanson Obladi Oblada, composée par Lennon-McCartney et qui se retrouve sur l'Album blanc (1968), sans doute l'album le plus mythique de ce groupe qui a marqué l'histoire de la musique au XXe siècle.

Et il y a bien entendu Casey au bâton, poème d’Ernest L. Thayer consacré au baseball que seul, en fin de compte, un Québécois, imprégné de la culture francophone du baseball, aurait pu traduire avec justesse. Paul Laurendeau en explique le contexte : « Écrit il y a plus de cent-vingt ans, ce poème mi-lyrique mi-satirique, très connu aux USA, attendait encore sa traduction française. Et pour cause. Le problème qu’il pose est moins linguistique qu’ethnoculturel. Il s’agit de traduire le baseball, jeu et institution culturelle strictement américains dont la terminologie française n’existe qu’en un seul endroit au monde : le Québec (et le Canada francophone). Ce texte, version américaine de la leçon universelle véhiculée depuis Ésope dans Le lièvre et la tortue, est doté d’une chute qui en fait en soi une petite rareté de la littérature continentale. Beaucoup d’Américains et de Canadiens anglophones connaissent d’ailleurs par cœur la si triste dernière strophe de la version originale de ce poème. La présente traduction de ce délice insolite se veut un hommage à tous ces commentateurs sportifs qui ont bercé les langueurs radiophoniques estivales de notre enfance dans la belle langue de chez nous, qui peut tout dire et trouve toujours les mots pour le dire. »

On a beaucoup dit que traduire c’est trahir. Paul Laurendeau, lui, estime que traduire, c’est aimer. Il se concentre sur la traduction littéraire, surtout poétique en fait. Bien sûr, il trahit… pour des raisons de rythme et d’euphonie. Il change la couleur des coussins du fauteuil de l’hôte du Corbeau, il modifie le résultat de la partie de baseball des neufs hommes de Mudville (dans Casey au bâton), etc. Il n’en demeure pas moins que traduire, d’abord et avant tout, c’est aimer une œuvre au point de l’offrir en cadeau à ses pairs linguistiques, un présent à la Francophonie.

Quand j’ai connu Paul Laurendeau à la fin des années 1970, il m’avait envoyé par courrier une traduction de Johnny B. Goode, la célèbre chanson de Chuck Berry écrite en 1958. Il n’avait pas vingt ans alors… et déjà il s’amusait à rendre en français des œuvres d’une sonorité toute différente en langue d’origine. Il y a quelques années, il a également mis cette traduction sur son blogue pour la plus grande joie de ses lecteurs.

Les traductions françaises des poèmes et chansons américains de Paul Laurendeau s'avèrent un cadeau pour les Francophones que nous sommes. On aurait bien tort de se priver de les lire. Pour ma part, je profite de l'occasion pour le remercier et pour lui rendre hommage.



Professeur de linguistique au département d’Études françaises de l’Université York de Toronto pendant vingt et un ans, Paul Laurendeau, né en 1958, vit aujourd’hui dans la région de Montréal où il se consacre à l’écriture. Il a publié plusieurs nouvelles et romans. Ses récits sont du genre réalisme insolite. Les personnages féminins y ont une importance décisive. Ce sont des aventures étranges et complexes dans des mondes fictifs mais possibles, traversés par des crises sociales biscornues mais plausibles. Le style mobilise toutes les ressources de la langue française sauf une : l’anglicisme. Les réalités inventées sont souvent désignées par des mots inventés et les possibles sont revisités.

Pour découvrir Paul Laurendeau, je vous invite à consulter sa page d'auteur sur le site d'ÉLP éditeur.


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