La ligne 23
Daniel Ducharme | Fiction | 2022-03-15
Ce soir-là, j’ai pris le bus 23 qui monte lentement une rue, en serpentant, jusqu'en haut d'une côte. Tout en haut, un terminus autour duquel il n'y a rien. Quelques bâtiments fouettés par le vent, c’est tout. Au loin, on peut apercevoir les bâtiments plats d’un quartier industriel partiellement éclairé. Qu'est-ce que je suis venu faire ici ? Je n'en sais foutrement rien. Je veux rentrer chez moi, me dis-je. Je demande au chauffeur s'il redescend. Il me répond qu'il a fini sa run et qu’il ne reprendra le service que le lendemain matin. Puis il me plante là en montant dans sa voiture. Sans me jeter un seul regard, il démarre et se dirige de l’autre côté de la colline, comme s’il allait nulle part. Je suis donc tout seul en haut d’une côte à la nuit tombée. Il n'y a pas de taxi, mais on peut essayer une plateforme mobile de services de transport. Je n'ai pas l'application. Je sors mon téléphone et je l'installe rapidement. Ensuite, je m’inscris à ce service en entrant un nom, une adresse et un numéro de carte de crédit. Puis je commande une voiture. À peine ai-je le temps de remettre mon téléphone dans la poche de mon veston qu'une voiture se pointe. Une voiture grise d'une marque japonaise prisée par les chauffeurs de taxi en général. À la demande de celui-ci, je m'installe à l'avant car, selon lui, certaines personnes n'aiment pas Uber et pourraient s'en prendre à nous dans ce quartier perdu. J'acquiesce et prend place à l'avant comme il me le demande. Le chauffeur démarre doucement. Il est de type oriental avec une fine moustache qui masque à peine sa lèvre supérieure trop charnue. Il me regarde à la dérobée. Nous parlons du temps qu'il fait et d’autres banalités. Soudain, il me dit :
— J'ai envie de toi.
Je ne comprends pas trop ce qu’il entend par cette envie. Il s'arrête sur le bas-côté. Nous sommes toujours en hauteur, à peu près au milieu de la côte descendante. Au loin, nous apercevons les lumières de la ville.
Il poursuit :
— Baisse ton pantalon et retourne-toi sur le ventre. Je vais te pénétrer. Je te promets que ça ne prendra qu'une minute. Après, une fois que je me serai soulagé, je me sentirai mieux et nous pourrons poursuivre notre route.
Je refuse, alléguant que je ne me sens pas prêt à me faire pénétrer par l'anus par le premier venu. Ni par personne d’autre, d’ailleurs. Du moins, tant qu’il s’agit d’un mec. Une femme, je ne demande qu’à essayer, mais là n’est pas la question. Bref, je refuse.
— Dans ce cas, il vaut mieux que tu descendes.
Je ne me fais pas prier. Le gars repart en trombe. Me voici à mi-parcours dans ce chemin en pente descendante qui mène visiblement à la ville. J'entreprends alors de marcher dans le soir qui tombe, obscurcissant soudain ce paysage plutôt glauque. Je ne suis pas inquiet. Un peu fatigué, c’est tout. Et en prenant la route à pied, je me demande encore pourquoi j’ai emprunté la ligne 23 de cette société de transport…