Estonie 3 : J'ai couché avec une idée
Daniel Ducharme | Société | 2020-12-01
Ce soir-là, comme d’habitude, j’ai écouté le téléjournal en compagnie de mon épouse et, comme d’habitude, le chef d’antenne a passé le plus clair de son temps à discuter, avec un panel d’experts triés sur le volet, de la situation politique de notre voisin du sud. Avant même la fin des informations télévisées, je suis monté au lit, espérant oublier le désordre du monde dans le dernier roman de Guilhem - L’Annihilatrice à couettes -, un roman de science-fiction à la Pratchett qui me fera bien oublier le beau Donald. À peine avais-je lu quelques pages-écran de ma liseuse que je m’endormis… mais avec cette idée saugrenue en tête : substituer l’Estonie aux États-Unis dans l'actualité quotidienne de la marche du monde. Une fois endormi, donc, j’ai rêvé de ce pays balte, à ses paysages sombres, à son climat que j’imaginais froid et humide, à ses habitations basses construites en pierre et en bois, à ses gens tristounets, longtemps écrasés par l’occupation étrangère, russe notamment, à ses traditions anciennes, bref à toute la représentation - fausse, sans aucun doute - que je me faisais de ce petit pays du nord de l’Europe.
Le matin, en me réveillant, je me suis demandé pourquoi j'avais parlé de ce pays nordique à mes amis, pourquoi j'avais considéré l'Estonie comme une alternative aux États-Unis dans le monde des médias. Après tout, j'aurais pu mentionner le Malawi, le Bélize, voire Saint-Thomas et Prince, deux petites îles lusophones qui me font souvent rêver. Non, j'ai choisi l'Estonie. Et c’est sans réfléchir que je l’ai fait, comme ça, spontanément. J'ai choisi ce pays sans le connaître, un pays où je ne suis jamais allé, où je n’irai sans doute jamais.
De l'Estonie, je ne sais pas grand chose. À l’école secondaire, dans mes cours de géographie, l’enseignant associait l’Estonie aux républiques baltes, soit à la Lituanie et à la Lettonie. Comme s'il s'agissait d'un pays composé de trois provinces, comme une fédération, quoi. Je me souviens m'être demandé pourquoi ces trois entités, qu'on mentionnait sans jamais faire de distinction entre elles, ne s'unissaient pas pour former un seul et même État. Aussi elles seraient plus fortes par rapport à la Russie, pays dans l'ombre de laquelle ces trois républiques ont vécu pendant de nombreuses années.
Dans ma jeunesse, j’ai lu une grande quantité de romans de Georges Simenon, surtout ses romans policiers dont le héros était l’inspecteur Maigret, le monsieur à la pipe qui résolvait des énigmes sans jamais faire appel à la violence. Un de ces romans s’intitulaitPietr-le-Letton, un roman dont l’action se déroulait partiellement en Lettonie. Peut-être est-ce de la lecture de ce roman que me viennent mes préjugés sur l’Estonie, de l’aspect sombre de ces paysages et de la tristesse de ces gens, des personnes peu bavardes, apeurées par la présence soviétique ? Et pourtant, la Lettonie n’est pas l’Estonie, je vous le rappelle et, par la même occasion, je me le rappelle à moi-même.
Tout cela remonte à plusieurs années, à plus de quarante ans pour dire la vérité. Aujourd’hui, qu’est-ce que je sais de l’Estonie ? Une seule et unique chose : c’est le pays d’Arvo Pärt, le compositeur contemporain né le 11 septembre 1934 à Paide (en Estonie, mais j’ignore où ça se trouve, et Wikipédia ne mentionne même pas le nombre d’habitants, alors...). Arvo Part a écrit notammentLa Messe de Berlin, une œuvre intemporelle d’une grande beauté que j’écoute régulièrement. Il s’agit assurément d’un grand compositeur qui prendra place dans l’histoire de la musique. Malheureusement, Arvo Pärt vit à Berlin, pas en Estonie...
Et tout ça demeure bien mince comme point de départ à un roman…