Les mots de la fin

Estonie 2 : Une boutade


Daniel Ducharme | Société | 2020-11-15


Plus tôt cette semaine, bien avant qu'on connaisse la nouvelle de l'élection de Joe Biden à la tête des États-Unis, j'ai lancé une boutade lors d'une rencontre virtuelle, pandémie oblige, avec un groupe d'amis de longue date. À eux je m’étais plaint, justement, de l’omniprésence des nouvelles américaines dans notre vie collective. Du jamais vu dans les médias. Certes, on a toujours beaucoup parlé des États-Unis, mais jamais ce pays honni n’avait pris autant d’espace dans les médias d’information. Sur un temps de journal télévisé de trente minutes, les États-Unis en prenaient souvent le tiers. Depuis l’annonce des élections fédérales, il faudrait plutôt parler des deux tiers…

Mes amis m’ont approuvé, chacun ayant manifesté son accord avec ce constat. Pierre, le conjoint de Diane, un ami que je connais depuis près de trente-cinq ans, a corroboré mes dires en ajoutant : « Pendant qu’on parle sans cesse des États-Unis, les journaux télévisés ont passé sous silence les ravages de l’ouragan Eta qui a fait plus de 180 morts en Amérique centrale. »

Il a raison, l’ami Pierre. Comme toujours, les êtres humains ne sont pas tous égaux dans la mort et certaines pertes humaines comptent plus que d’autres. Human Beings Lives Matter. Voilà une valeur humaniste qu’on devrait enseigner de nouveau dans les écoles et, surtout, transmettre aux chefs d’antenne de tout acabit : il n’y a rien de plus sacré que la vie, peu importe notre couleur de peau, notre religion, notre orientation sexuelle.

« Heureusement, on ne verra plus sur nos écrans, maintenant, ce président vulgaire, fat et arrogant », a dit Lyne, une autre amie que je connais depuis aussi longtemps - légèrement plus longtemps, d’ailleurs - que Pierre. En effet, on ne le verra plus trop souvent, maintenant,  ce personnage qui va à l’encontre des valeurs de savoir-vivre que nos parents, du moins les parents de plusieurs d’entre nous, nous ont transmises.

Je reviens à cette boutade. Donc, pour clore ce sujet qui commençait à s’épuiser, j’ai dit : « Ne serait-il pas chouette qu’on ouvre le téléjournal du soir en nous donnant des nouvelles de… je sais pas, moi... de l’Estonie... au lieu de nous rabâcher sans cesse le rapport des allées et venues des élus de la Maison blanche ? Vous vous rendez compte ? Un soir, on dirait : Le gouvernement estonien vient de décréter la gratuité des transports publics à Tallinn. Et le lendemain : Cette année, l’Estonie a connu une baisse significative du tourisme en raison de la crise sanitaire qui n’a fait pourtant que très peu de décès. Alors, qu’en pensez-vous ? »

Ça a fait sourire mes amis, sans plus. Mes proches sont habitués à ce que je sorte ce genre d’absurdités. Des blagues, des vannes, des remarques parfois drôles, parfois moins drôles… car il m’arrive d’aller trop loin, vous savez. Mais je ne peux pas toujours m’en empêcher, tellement c’est plus fort que moi, comme hors de mon contrôle. Dans ma vie, j’ai toujours considéré l’humour comme un rempart utile contre la déprime, la tristesse, le découragement inhérent à la vie qui ne tient pas toujours ses promesses. Mes amis me connaissent bien et, en général, ils ne m’en tiennent pas trop rigueur quand je dépasse les bornes. De mon côté, je suis prompt à m’excuser, même si je sais pertinemment que je ne peux me défaire de cette habitude de toujours tout tourner à la blague, même les phénomènes les plus graves, comme si j’avais la possibilité de voir le comportement des gens sous un autre angle, un angle que le commun des mortels ne voit pas, ne soupçonne même pas l’existence, peut-être. Bref, à mes yeux, il n’y a rien - ou alors très peu de choses - qui ne revête pas un aspect qui prête à rire, même si la décence m’oblige parfois à me taire dans certaines circonstances, simplement parce que ça risquerait de blesser des gens… car il n’y a rien qui me rende plus malheureux que le sentiment d’avoir fait de la peine à mon prochain. Enfin… je suis un être de contradiction, comme la plupart d’entre nous, sans doute.

Au bout d’une heure, la conversation prit fin. Nous nous sommes virtuellement quittés en nous promettant de nous voir dès que les mesures de la Santé publique le permettraient. Peut-être dans le temps des fêtes. Personne ne savait exactement.


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