Les mots de la fin

Estonie 1 : Chaque soir à l'ouverture du journal télévisé


Daniel Ducharme | Société | 2020-11-01


Comme tout un chacun, la pandémie m’oblige à rester à la maison, du moins plus souvent qu’à l’accoutumée. Je sais, accoutumée n’est pas le terme idoine, car il réfère au temps d’avant la crise sanitaire qui secoue la planète, donc avant le mois de mars 2020. Accoutumée est un autre mot pour désigner les habitudes. Il signifie strictement la même chose, mais il s’avère plus joli à l’usage.

Donc, la pandémie a rompu toutes nos habitudes. Toutes ? Non, pas toutes. Chaque soir, pandémie ou pas, à l’ouverture du téléjournal télévisé, que j’écoute généralement en compagnie de mon épouse, et deux fois plutôt qu'une (du moins, ce ce qui la concerne), le chef d’antenne débute les nouvelles en parlant du président des États-Unis, celui qui a transformé la Maison blanche en cirque et qui a pris l’allure d’un clown. Chaque soir, donc, depuis quatre longues années. Même les chaînes de télévision privées qui, avant l’élection de ce président, n’avaient pas les moyens de s’offrir un correspondant à Washington, le font. Toujours ce président, ses tweets, ses discours à l’emporte-pièce, ses insultes à l’endroit d’un collègue élu, d’un journaliste, voire d’un juriste. Cet irrespect permanent finit par nous hérisser les poils et ce, même à ceux qui ne sont pas portés sur le respect, ceux qui nous dépassent par la droite en voiture, qui volent la place de parking qu’on s’apprêtait à prendre, qui nous suivent en nous collant au derrière en multipliant les appels de phares, quand ce n’est pas carrément en nous klaxonnant. Bref, cet irrespect finit par énerver tout le monde, les honnêtes gens comme les autres.

Depuis quatre ans, et sans doute depuis 2008, année de l’élection du premier président noir (enfin, noir… n’oublions pas que sa mère est blanche, tout de même, mais n'entachons pas le symbole) des États-Unis d’Amérique. Et je vous rassure tout de suite : ce n’est pas que chez nous que ça se passe ainsi... Chaque soir, ma femme écoute le Journal de France-Télévision sur la chaîne francophone TV5. Même chose en après-midi à la TSR, la télévision de la Suisse romande. Autrement dit, dans la plupart des chaînes de télévision du monde connu, depuis l’élection de ce clown à la tête du pays le plus puissant du monde (c’est ce que lui-même s’évertue à dire en cherchant à restaurer sa grandeur), on ne parle que ça… Les États-Unis par ci, les États-Unis par là, au G7 il a dit ça, à l’OTAN, il a dit ci, bref ça n’en finit plus… et cette litanie finit par avoir un effet contraire : petit à petit, on commence à penser que les États-Unis constituent un modèle pour le monde occidental, un modèle qu’on commence subrepticement à implanter ici et ailleurs. Certes, l’American Way of Life est une pratique largement répandue au Canada. Même chose pour les voitures, les séries télévisées, le fast-food. Mais les problèmes sociaux, la haine interraciale, la violence urbaine, la culture des armes à feu… on préfère que ça ne traverse pas la frontière.

Certains soirs, excédés par une autre tirade de ce président clownesque, ma femme et moi nous nous regardons et, pour nous rassurer, nous nous disons que les États-Unis ne sont pas notre pays. Parfois, il est bon de se rappeler que l’Amérique qui qualifie ces états désunis n’est pas notre Amérique. Il s’agit d’une usurpation d’identité : les Américains sont des Étatsuniens, point barre.


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