Les mots de la fin

Blogue de Daniel Ducharme

Frère François : Comme une flûte de roseau


Daniel Ducharme | Idées | 2016-09-15


Tu es mort en plein hiver dans un pays où l’hiver n’existe pas. Il est vrai que tu n’as jamais fait pas les choses comme tout le monde. Déjà, en ta jeunesse, tu prétendais avoir désappris à l’école, d’être tombé malade à l’hôpital, d’avoir cessé de croire en Dieu à l’église. Tu n’étais pas comme les autres. La vie, telle que vécue par tes parents et amis, ne te convenait pas. Il te fallait autre chose. Des réponses à tes nombreuses questions sur le sens de la vie. Car il te fallait du sens. Un sens à tout prix. Alors un jour, tu as fait ton baluchon et, quittant parents et amis, tu es parti sans te retourner, sans trop pourquoi. Tu as pris simplement la route vers l’ouest jusqu’à Vancouver et, une fois sur place, tu as mis le cap plein sud sur la Californie, là où il faisait chaud, là où il faisait soleil, là où il y avait peut-être quelque chose qui se rapprochait d’un quelconque absolu auquel tu aurais pu t’accrocher. Après, personne ne sait, du moins personne ne savait avant que ta sœur Anne écrive ce bouquin sur lequel je suis tombé par hasard. Après tu es entré dans une secte pour laquelle tu prêchais de ville en ville pour cet homme appelé « révérend ». Quelques années plus tard, tu es revenu au pays. Pour tes amis, tu étais devenu bizarre… je veux dire: encore plus bizarre qu’avant. En raison de certaines circonstances indépendantes de nos volontés respectives, nous avons cessé de nous voir, mais jamais je n’ai cessé de penser à toi.

François Garon

Au début de la trentaine, je t’ai retrouvé dans les couloirs de cette université pour laquelle je travaillais. Tu étudiais la théologie dans l’espoir de joindre les rangs d’une communauté religieuse. Nous discutions souvent dans un coin de la cafétéria. Un jour, je suis parti à mon tour, sans doute pour des raisons assez similaires aux tiennes. Toi, pendant ce temps, tu entrais chez les Franciscains de l’Emmanuel, faisant vœux de grande pauvreté. Tu as pris la décision de consacrer ta vie à ta quête d’absolu, trouvant sans doute un réconfort à te préoccuper des autres, un moyen comme un autre de s’oublier soi-même. Je ne t’ai jamais revu… jusqu’à ce jour de janvier 2012 où j’ai aperçu ta photographie dans les pages nécrologiques de La Presse. Je t’ai reconnu du premier coup d’œil malgré les années passées, malgré la mauvaise qualité de l’image. Ton regard était le même : des yeux étonnés sur un monde en quête d’absolu.

Frère François, je n’ai jamais cessé de penser à toi. Toi le mélomane, toi le musicien, toi l’étrange ami qui m’a plus d’une fois réconforté quand j’entrais avec difficulté dans l’âge adulte. Frère François, j'ignore encore s'il y a un dieu, s'il y a un absolu, mais, peu importe, je te retrouverai dans la mort, bien au-delà du monde pour lequel j’éprouve, tout autant que toi, un sentiment d’insatisfaction.

Merci mon frère, adieu l’ami.

Pour ceux qui souhaitent en savoir davantage sur cet ami disparu, sa sœur Anne Garon a fait paraître un ouvrage en 2015 aux éditions Novalis. Pour vous dire la vérité, ce témoignage tient davantage de l'hagiographie que de la biographie, même si cela demeure un hommage sublime au frère qu'Anne a perdu trop tôt. Moi qui ai fréquenté François pendant les années cruciales de mon existence, cet ouvrage a une résonance toute particulière. Je l’ai dévoré en un seul jour tellement j’avais faim de mon ami disparu. Il y a longtemps que je ne vais plus à la messe, mais aujourd'hui je constate que l'hostie que l'on avalait à l'église était du même ordre...

Anne Garon, Comme une flûte de roseau. Novalis, 2015. Ouvrage disponible sous forme papier ou numérique.


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