Le fleuve indifférent (poème)
Daniel Ducharme | Poésie | 2014-08-15
Mon frère est parti. Je suis au bord de l'eau où je suis venu en vélo. Il fait chaud. Je regarde le fleuve qui coule devant moi, indifférent aux malheurs du monde.
Je pense à la Syrie, je pense à l'Irak, je pense au Bangladesh, trois pays maudits par les dieux.
Je pense aux pauvres, aux déshérités, à ceux qui subsistent dans les fosses à déchets de Nairobi ou de Calcutta. Je pense à tout cela en me disant « Que puis-je faire ? » tandis que le fleuve coule devant moi, indifférent aux plaintes incessantes de la planète.
Puis je pense à Gaza, je pense à la Libye, je pense à Centrafrique. Je pense à tout cela en vain, assis en face du grand fleuve qui coule devant moi.
Mon amie m'a quitté. Je suis au bord de l'eau où je suis venu à pied via le cimetière au fond duquel mes parents reposent en paix. Il fait froid. Je regarde le fleuve qui coule devant moi, indifférent aux troubles qui m'agitent. Je pense à ma belle amie, je pense à ses promesses d'amour, je pense à son engagement rompu. Je pense à son corps qu'elle a donné à l'autre. Je pense à tout cela en me disant « Que vais-je faire ? » tandis que le fleuve coule devant moi, indifférent à mes plaintes oisives.
Puis je pense à mon père parti trop tôt. Et à ma mère qui nous a quittés dans la souffrance. Je pense à mes frères, à ma sœur, à mes amis. Je pense à tous ceux que j'ai perdus pendant que, devant moi, coule le fleuve indifférent.